La bienveillance des agneaux, en terre hostile ~ Episode 3
- Bessora Consulting Rh
- 3 juin 2020
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 déc. 2022
Pour mener à bien la question de l’institutionnalisation de la bienveillance par et dans l’entreprise, il faut préalablement prendre acte de plusieurs contraintes qui pèsent sur l’entreprise et qui souvent limitent sa sincérité et/ou son ambition quant à sa bienveillance organisationnelle.
Des gagnants, des outsiders et des perdants
La première contrainte semble être imposée par le marché, et son fondement économique à savoir la concurrence. Le marché n’est pas, par définition, bienveillant. La compétition que se livrent les entreprises pour s’y maintenir ou accroître leurs parts de marché, produit des dommages parfois irréversibles (faillites) chez les autres compétiteurs. Il y a des gagnants, des outsiders et des perdants, ces derniers n’étant éventuellement sauvés du naufrage que par des opérations de rachat menés par les gagnants pour servir leurs stratégies de croissance. Ainsi, dans cet environnement de compétition, les concurrents sont pour l’essentiel des adversaires qu’il n’est pas nécessairement indispensable de détruire mais qu’il faut vaincre.
Dans un tel contexte de marché, la contrainte de performance commerciale, financière, technologique ou organisationnelle qui pèse sur l’entreprise la pousse à exclure de ses choix, tout ce qui à première vue peut lui apparaître comme un coût, un luxe, voire une mode passagère. Et, devant cette pression exercée par un marché concurrentiel, l’entreprise peut ne reconnaître qu’une faible utilité à s’investir dans des actions mobilisant des ressources qui viseraient à instituer une bienveillance dans les relations de travail.
La bienveillance, une simple option de communication interne destinée à construire une image valorisante ?
On comprend d’autant mieux cette relative inertie de l’entreprise qu’une réelle dynamique organisationnelle bienveillante au sein de l’entreprise produit des performances cachées qui par définition, échappent pour une grande part aux outils de reporting et d’analyse financière qui orientent les décisions stratégiques internes et externes des directions générales et autres DAF. Avec les mêmes résultats, mais dans l’autre sens cette fois, l’absence de bienveillance génère des « coûts cachés », également difficilement identifiables et quantifiables par ces mêmes outils de gestion.
Tout au plus, la bienveillance pourra apparaître comme une simple option de communication interne destinée à construire une image valorisante, mais sans réelle déclinaison opérationnelle de terrain, ce qui peut être en réalité particulièrement contreproductif si les salariés comme les clients mesurent un écart significatif entre la communication interne autour de la bienveillance au travail et la réalité des pratiques de gestion et de management de l’entreprise.
Sur cette question d’une bienveillance institutionnalisée dans l’entreprise, il est légitime d’avoir de fortes attentes à l’égard des services #RH de l’entreprise et, les RRH et DRH ont ici un rôle essentiel à jouer, d’autant que les formations universitaires qu’ils ont suivies ont invariablement inclus les notions de coûts cachés et de performance cachée, et pour le moins, une introduction à la sociologie et à la psychologie du travail. Les DRH ne peuvent donc ignorer ni l’existence, ni la diversité, ni les modalités d’évaluation des coûts et performances cachés en lien avec le degré de bienveillance institutionnelle au sein de l’entreprise.
Au-delà des enseignements universitaires reçus, les nombreuses contributions dans la littérature professionnelle, les communications sur les réseaux sociaux, les rencontres de partage et d’échange entre professionnels de la GRH et les conférences sur le thème de la bienveillance montrent que dans leur grande majorité, les DRH et RRH professent qu’un cadre organisationnel et opérationnel qui instaure au quotidien des relations de travail apaisées reposant sur la confiance, la considération, la solidarité et la bienveillance, représente un levier de performance considérable mais néanmoins peu optimisé.
A cet égard, aucun ne semble ignorer qu’un cadre de travail bienveillant impacte favorablement les niveaux de motivation et d’implication, de créativité et d’innovation, de partage d’informations et de mutualisation des compétences. Ils n’ignorent pas non plus qu’un tel contexte de travail a un effet réducteur sur le turnover, l’absentéisme, le taux d’accident, le nombre et l’intensité des conflits internes et qu’il produit une diminution de la pression salariale (intensité de la revendication salariale), tout en améliorant simultanément la productivité.
Pourtant, on mesure qu’en dépit d’une conviction affirmée, les DRH rencontrent de réelles difficultés à convaincre le sommet stratégique de l’entreprise à investir des ressources significatives pour penser la dynamique de création de richesses sous l’angle d’une organisation collaborative bienveillante. Et lorsqu’ils y parviennent, ces ressources apparaissent bien marginales comparée à celles consacrées à la communication commerciale et à l’investissement matériel productif.
Une place a minima au sein des CODIR
Ces difficultés à convaincre la direction générale de l’entreprise et le CODIR trouve leur origine dans une diversité d’obstacles, de situations ou de faiblesses, parfois cumulatives.
La première difficulté repose sur la place que les directions générales accordent aux DRH au sein des CODIR. Même si généralement l’organigramme ne le montre pas, le positionnement des DRH n’est pas équivalent, dans les faits, à celui de premier plan accordé aux directions administratives et financières, aux directions marketing et ventes et aux directions de production. Ces directions ont la préséance sur la DRH parce que les grandes orientations stratégiques sont en premier lieu examinées sous l’angle financier, puis commercial et/ou industriel (selon l’activité de production de services ou de biens).
La question des orientations stratégiques sous l’angle des ressources humaines, et pour lesquelles les DRH sont sollicitées, se limitent trop souvent aux problématiques d’emploi (suppressions de postes), à la gestion des réactions des organisations syndicales qui peuvent en résulter et à la négociation d’accord collectif permettant d’entériner les choix stratégiques pris par le sommet décisionnel de l’entreprise.
Finalement, alors que les directions financières, marketing et production sont invitées à déterminer comment et où investir les ressources de l’entreprise, les DRH sont sollicitées pour déterminer comment limiter les coûts sociaux et financiers des décisions prises par les premières.
Des coûts et des niches de performance bien cachés
La deuxième difficulté trouve son origine dans l’absence trop fréquente d’estimations sérieuses et fiables des couts cachés qu’engendre l’absence d’une bienveillance organisationnelle dans l’entreprise. En sens inverse, nous retrouvons la même inexistence d’estimations des performances cachées qui résulteraient d’un investissement de l’entreprise dans le développement d’une politique interne visant à institutionnaliser une bienveillance organisationnelle et managériale globale. Se priver de l’évaluation des coûts cachés et des performances cachées, c’est se priver d’arguments chiffrés et tangibles, seuls susceptible d’emporter l’adhésion des DG et DAF, parce que les décisions stratégiques et les politiques de gestion interne que ces derniers adoptent, reposent en premier lieu sur l’estimation du ratio coûts/bénéfices.
C’est la première porte à franchir par les DRH si elles veulent influer la prise de décision du sommet stratégique en faveur d’un investissement conséquent destiné à institutionnaliser une bienveillance organisationnelle.
Oublier ce ratio coûts/bénéfices, c’est ignorer d’une part le langage décisionnel du sommet stratégique de l’entreprise et c’est d’autre part ignorer que les DG et les DAF sont eux mêmes directement soumis à la pression qu’exercent leur conseil d’administration et l’AGO des actionnaires quant à la légitimité des décisions qui engagent durablement l’entreprise en termes de performances financières.
Néanmoins, à la décharge des DRH, la conduite d’une investigation et d’une analyse approfondie portant sur les coûts et performances cachés est un exercice chronophage et coûteux, qu’il soit réalisé par les services internes de l’entreprise ou par des experts extérieurs. Il faut donc, avant même la production des résultats de l’investigation, que les DRH sachent convaincre la DG de l’intérêt d’allouer des fonds pour conduire une telle démarche. Leur capacité à convaincre la DG sera généralement proportionnelle à leur propre niveau de conviction. Et là, au-delà du discours séduisant et communiquant que porte en soi le thème de la bienveillance au travail, la DRH devra être animée d’une forte et intime conviction susceptible d’enthousiasmer la DG pour engager l’entreprise dans cette recherche des coûts cachés et des niches de performance cachées que produit une bienveillance organisationnelle.
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